Lexie

C'était une belle journée.

L'air embaumait les fleurs du jardin des Tuileries. Les gens pressaient le pas vers une quelconque destination, sans doute était-ce une belle journée pour faire des rencontres...

Lexie tourna la tête vers l'est: un soleil radieux entamait son ascencion. Il irradiait enfin sa chaleur bienveillante sur toute la ville, et sur tout le monde: tout le monde, sauf Lexie. Elle détestait le soleil.

Il n'était pas capable de la réchauffer. Il le faisait pour tout le monde, mais pas pour elle. Il était incapable de la rendre heureuse. Il le faisait pour tout le monde, mais pas pour elle. Il rendait à tout le monde leur ombre: Lexie, elle, était l'ombre d'elle-même.

Elle s'était réveillée, un matin, en ne se rappellant que de son prénom. Elle ne savait même pas son âge: un rapide coup d'oeil dans une fenêtre un peu trop réfléchissante lui avait permis d'estimer la vingtaine. Ses yeux bleus foncés exprimaient une sang-froid déstabilisant. Lexie n'était pas convaincue qu'elle était capable d'un tel état d'impassibilité: ce trou de mémoire lui évitait pourtant l'accès tant à ses souvenirs qu'à ses sentiments. Elle s'était fixée avec intensité, dans cette vitrine. Elle ne se reconnaissait pas: cela lui déplut. Lexie avait continué son chemin, marchant droit devant elle, sa robe blanche immaculée flottant au gré de ses pas. Elle arborait aussi une fleur assortie au côté droit de sa tête: glissée dans ses cheveux, elle était si grande qu'on aurait dit une fleur venue du Sud. Cette fleur apportait de la grâce au personnage: Lexie aurait très bien pu être une descendante de la reine d'Angleterre...

Aujourd'hui, Lexie pouvait affirmer qu'elle n'était pas de sang royal -du moins, pas de celui d'Angleterre, car les journaux n'avaient rapporté aucune disparition de Princesse quelconque. Mais Lexie ne savait toujours pas qui elle était, détestait autant le soleil, portait la même robe blanche immaculée qu'au commencement et gardait précieusement cette fleur si gigantesque à l'oreille... Comme si tout ça avait une certaine importance.

Les mains dans les poches, elle sortit d'un pas concentré de la librairie. Elle n'avait pas envie de travailler, aujourd'hui: hier, la récolte avait été bonne. Montparnasse était toujours efficace quand il s'agissait de se remplir les poches -ou de vider celles des autres.
Elle retraversa le pont pour se rendre vers chez-elle. Lexie avait trouvé un bâtiment qui abritait un petit commerce, un fleuriste, duquel le grenier était abandonné. L'étage du bas semblait avoir été remise sur pied, et on avait bouché l'accès au grenier: ce dernier était beaucoup plus décrépi: il y avait un grand trou, à l'avant du bâtiment, et le mur extérieur droit n'avait rien d'un mur... À l'intérieur, des vestiges d'un ancien logis restaient debouts. Quelques chats de gouttière y avaient élus résidence, ce qui empêchait les souris et les rats de faire du grenier leur palais.
Après avoir vérifié l'état des lieux, elle s'y était installée.
Le grenier était rempli de livres de toutes sortes: on y trouvait de la poésie autant que de la littérature étrangère, ou des livres pour enfants. Les planches qui constituaient le plancher étaient minces et craquantes: Lexie devait faire gaffe à l'endroit où elle posait ses pieds, et au poids qu'elle déposait. Pendant les heures d'ouverture du commerce, elle devait vivre dans le silence le plus total: ses déplacements et ses actions devaient rester, pour les gens du bas, secrets.
Lexie contourna la devanture du magasin de fleurs pour se diriger vers la gouttière, qui longeait le mur. S'assurant que personne ne la regardait, elle s'y agrippa, et en commença l'ascension, agile. En moins de deux, elle s'était glissée dans le grenier rempli de livres. Elle déposa sur une poutre qui lui servait d'étagère Charles le Téméraire sa nouvelle trouvaille, tandis qu'elle grimpa un peut plus haut, sur une planche qui lui servait de chaise.
Souriant joyeusement, elle prit le livre, puis en commença la lecture.