En quête d'argent...

Lucien Bonnaire venait juste de sortir de chez sa logeuse et l'argent commençait à manquer. Il décida de se renseigner auprès de ses amis au Bar du chat pendu pour savoir si par hasard une personne aisée avait besoin d'un "second" pour l'assister un temps ou si un riche excentrique, en quête de nouveaux défis, embauchait pour sa prochaine "expédition". En remontant la rue Monge, il remarqua un homme vêtu de sombre qui le regardait fixement. Il voulut faire comme si de rien n'était.

Malgré son apparence peu amène, l'homme était vêtu plus que décemment...En réalité et à bien y regarder, il devait même loin de toute difficultés financière rien qu'avec la lourde chevalière étrangement gravée qu'il portait à l'annulaire droit.

Au passage de Lucien, son sourire était presque perceptible derrière la cape noire remontée et le haut de forme qui couvrait partie de son visage...Adressant un signe de tête à l'homme il prit la parole

- Pas chaud pour un mois de mars, pas vrai ? Je vous propose un verre ?

- J'allais justement dans un bar, si vous voulez me suivre"

Tout en marchant, Lucien examina la personne qui était à côté de lui. Etait-ce un ancien client qui avait été plus que satisfait des services qu'il lui avait rendu? Non, Lucien était assez physionomiste et le visage ne lui disait rien. Un nouveau client qui avait entendu parler de lui? Difficile à croire, ils étaient plusieurs à exercer et certains avaient une plus grande expérience et surtout une immense notoriété. A moins que... Lucien se troubla lorsqu'il réfléchit au fait que se pouvait être une ancienne connaissance qui voulait se rappeler à lui. Il voulait se faire oublier un certain temps. Etait-ce un ancien collègue? Un condé? Il chassa l'idée de son esprit tellement elle lui était déplaisante.
Ils arrivaient dans la rue du "chat pendu". L'enseigne en fer, une silhouette de chat suspendue par la queue était d'autant plus amusant que le vent la balançait d'avant en arrière. En arrivant devant le bar, Lucien s'interrogea. Etait-ce un endroit d'assez haute tenue pour un homme qui semblait venir de la haute société? "Après tout, ce n'est pas un bouge, se dit-il, et une table à l'écart permettra d'y causer tranquillement si l'homme veut être discret."
Lucien poussa la porte de l'établissement. Une fois à l'interieur, Lucien
se retourna en tendant la main à l'homme en cape :
"Je m'appelle Bonnaire. Lucien Bonnaire

L'homme sourit étrangement au nom de Lucien

- Je le sais déjà Monsieur Bonnaire...Je le sais déjà.

A l'arrière du café, une petite salle privative, généralement réservé aux buveurs d'absinthe semblait n'attendre que leurs venues.
L'éclairage, presque tamisé, liberait de temps à autre une zébrure de lumière qui marquait le visage de son interlocuteur : un homme sec, au visage buriné, qui contrastait étrangement avec ses habits...

- N'ayez crainte. Je ne fais pas partie de la sûreté, si c'est une de vos inquiétude... Je viens de la part de quelqu'un qui a pu par le passé constater votre efficacité : le comte Anastase Kridine... MOn employeur en quelque sorte.

Le nom n'était pas inconnu à la mémoire de Bonnaire. Kridine était une grosse fortune russe qui hantait les salons aristocrates parisiens.
On le disait collectionneur passionné d'objets ésotériques, un peu sorcier, et surtout d'une curiosité qui le poussait parfois à la limite de la légalité.
La police parisienne le considérait parfois même comme un auxiliaire d'enquête indésirable, car il fourrait généralement le nez où il ne fallait pas et surtout au mauvais moment.
Un farfelu gênant et d'une intelligence remarquable en somme.

Au nom de Kridine, Lucien Bonnaire grimaça. Certes, c''était un client honnête en affaires, qui payait vite et bien le travail accompli. l l'était beaucoup moins dans ses moyens et dans ses buts. Alors qu'il cherchait à se faire oublier de la police, Kridine lui avait demander de dérober un collier qu'il considérait comme sacré. Lucien avait seulement accepté de collecter les informations nécessaires au vol. Le travail avait été intéressant et, apparemment, il avait plu à Anastase Kridine.
Mais que voulait dire l'homme en noir par "Mon employeur en quelque sorte". N'était-il pas un intermédiaire direct d'Anastase Kridine? "Est-ce que c'est une embrouille?", se demanda Lucien "Il faut qu'il jacte un peu plus si je veux entraver le fond de l'affaire".

"Monsieur Kridine connait mes tarifs, en plus des frais journaliers. Il sait aussi qu'on me paie la moitié d'avance et le reste quand c'est terminé. Il sait aussi que, pour l'instant, je sélectionne les services demandés et que je n'accepte pas ceux qui me semblent trop dangereux. Mais il faut que j'ai tous les éléments en main. Pouvez-vous m'expliquer ce que je dois faire?"

A cet instant le patron vint prendre la commande :

"Bonjour monsieur, salut Lucien! Qu'est-ce que vous prendrez?
- Bonjour Jules. Pour moi, ce sera une pinte, et pour monsieur...

- Une fée verte, repondit l'homme sans embage...

Fouillant dans une petite sacoche dissimulée par sa capeline, l'homme tira une cassette qu'il ouvrit sans un bruit.
L'intérieur était tapissé de Napoléon rutilant.

- 8000 francs....Plus l'autre moitié une fois le contrat rempli. Le Comte Kridine connaît vos "habitudes". Pour ce qui est de l'objectif, il vous l'expliquera lui même, demain soir, à son manoir... Marché conclu ?

"Quelle somme!", se dit Lucien,"Que veut Kridine pour qu'il aligne autant de blé?". Lucien, qui était d'un naturel méfiant, le devint encore plus. Mais il avait besoin d'argent, il fallait qu'il réponde.

"Je n'ai rien pour ramener cette somme sans danger, j'en prends une partie" dit Lucien en plongeant sa main dans la cassette,"et je viendrai demain récupérer le reste chez le comte Kridine avec qui nous discuterons des modalités du contrat. Comptez sur moi." Puis il appela son ami.
"Jules! Tu nous remets ça s'il te plaît !"

- Excellent fit l'homme en refermant le boîtier... Vous passerez à dix heures du soir, en prenant bien garde à ne pas être vu...

L'homme laissa Lucien seul, et pivota sans bruit sur ses talons pour rejoindre la rue...
Un claquement de fouet plus tard, le fiacre qui l'emportait avait disparu.

Le lendemain, Lucien prit un sac afin d'y mettre la cassette vue la veille, et mit ses plus beaux vêtements - il allait chez un comte! Il stoppa une calèche au plus proche boulevard et donna l'adresse du comte Anastase Kridine.

Il paya le cocher à son arrivée et regarda l'imposant manoir sous la lumière de la pleine lune et des lampadaires. Cette vue lui donnait toujours le frisson. Il prit le battant de la porte, qui se trouvait dans la gueule d'une tête de gargouille, en bronze, cornue et à l'air menaçant. Connaissant le comte Kridine et son goût pour l'ésotérisme, il savait que cette tête représentait un démon en particulier, mais lequel ? Il frappa trois coups à la porte.