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 Leçon de choses dans les allées du jardin des plantes

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Mei Ottori

Mei Ottori


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MessageSujet: Leçon de choses dans les allées du jardin des plantes   Leçon de choses dans les allées du jardin des plantes Icon_minitimeLun 16 Juil - 22:47

Leçon de choses dans les allées du jardin des plantes Animal_artists_at_the_Jardin_des_Plantes
Peintres animaliers au jardin des plantes (vers 1900)


Meï Ottori peine à déchiffrer ce qu’elle lit. L’anglais n’est pas une langue qu’elle manipule aisément, et « On the origin of species by means of natural selection, or the preservation of favoured races in the struggle for life » ne se laisse pas apprivoiser d’un premier trait. L’ouvrage n’a pas été traduit en français, pas encore. La jeune femme insiste cependant, impressionnée... et atterrée par la justesse de vue du scientifique anglais. Il manque quelque chose à sa thèse, elle le sait. Quelque chose qui tient à l’homme, mais pas seulement... quelque chose d’inconscient mais d’éminemment volontaire, comme un effet modeleur de...

Elle bloque sur un nouveau passage, soupire, et se lève. Le jardin des plantes étale ses plus beaux atours, c’est la belle saison. Dans les allées délicatement ombragées, au cœur des fleurs et des branches basses, des milliers d’animaux s’attaquent, se dévorent, hurlent leur douleur en silence. La nature est d’une cruauté sans borne, pour qui sait la regarder sans naïveté, sans complaisance. D’une cruauté et d’une beauté... indicibles.

Meï fait quelques pas dans l’allée centrale, se dirigeant nonchalamment vers l’entrée principale. Elle aperçoit son élève qui l’attend déjà, en avance d’un bon quart d’heure. Celui-ci s’appelle Victor Hernot, c’est le fils adolescent d’un bourgeois marnais venu de la proche campagne en calèche. Il prend des leçons d’Histoire naturelle, il n’est pas très malin et en pince pour son étrange professeur. La jeune femme le ressent, s’en amuse et d’une certaine façon, en use pour faire passer ses idées. Elle a sa propre façon de voir, liée à sa culture.

Elle s’approche lentement, attentive à ne pas se faire voir, et surprend Victor tandis qu’il baille en louchant sur sa montre gousset. Il sursaute, sourit timidement... le dialogue s’engage :


- Bonjour, euh... mademoiselle. Je suis arrivé avec... de l’avance. Vous voulez peut-être que l’on, que l’on... attende un peu ? Que l’on marche pour, euh...

- Bonjour, Victor. Nous pouvons marcher, oui. Mais commençons notre leçon, voulez-vous ? Faites-moi le plaisir de m’instruire des progrès réalisés par le chevalier de Lamarck par rapport à Buffon ; nous en avons parlé la dernière fois. Si progrès il y a, bien sûr.

Le jeune homme ouvrait déjà la bouche mais s’arrête net, interloqué par la remarque de sa préceptrice :

- Si progrès il y a ? Je... comment ça ? Il me semble que dans tous les domaines, le chevalier a démontré la supériorité de ses vues. Il ne se contente pas d’avancer le transformisme, il... il l’explicite. Enfin, il propose un mécanisme plein de bon sens...

La jeune femme sourit. Ces jeunes esprits sont si malléables !

- Et dans la thèse transformiste de monsieur de Lamarck, que Buffon énonce sans autre prétention, où placez-vous les dragons ?

Complètement interdit, Victor garde le silence. Mademoiselle Ottori serait-elle en train de plaisanter ? Est-ce une sorte de test ? Il opte pour la seconde solution :

- Et bien, je dirais qu’il s’agit là de créatures imaginaires, qui n’existent que dans les contes. Sans rapport avec la science.

- Vraiment ? Et que faites-vous des fossiles de reptiles géants dont les assistants d’Owen ont trouvé quelques exemplaires, dans le sud de la France ?

- Euh... ces fossiles ne présentent pas d’ailes, et...

- Allons, Victor : vous savez comme moi que les parties molles d’un corps se décomposent et ne marquent pas la roche. Je vous pose donc la question suivante : entre la thèse qui prétend que vivaient, il y a des éons, des serpents ou des iguanes gros comme le pavillon de Sèvres, et celle qui pose qu’existaient les dragons décrits dans tous les textes antiques, qu’ils soient d’occident ou d’orient... quelle est la plus fondée ?

Le jeune homme hésite : sa préceptrice ne ri pas, à l’évidence. Il ne sait rien de ses opinions, sur cet aspect de l’Histoire naturelle, si c’est bien de cela dont il s’agit. Par moments, Meï l’attire irrésistiblement, se montrant proche, presque complice ; puis, sans prévenir, elle s’éloigne soudain, prend ses distances, fait montre d’une froideur toute orientale. C’est déconcertant, il y perd son latin !

Elle insiste :


- Vous ne voyez pas ? Que dit la Bible sur ces questions ?

La Bible ! Meï n’aborde pas souvent la question religieuse, et lorsqu’elle s’y risque, c’est toujours avec prudence. Victor y voit comme une bouée de sauvetage, il s’y accroche aussitôt, d’autant qu’il s’y entend en chiffres et en dates :

- Oh, selon la Bible, le monde a été créé en six jours ! Mais selon l’archevêque Hussler, sa naissance est datée de 4004 avant JC. Pourtant, d'après Buffon, il a plus de 75.000 ans !

Le jeune homme affiche un sourire satisfait, que l’asiatique perturbe aussitôt d’une autre remarque :

- Ils ont tous tort, à en croire Jacques Boucher de Crèvecoeur de Perthes. Mais là n’est pas la question : Si je vous parle de la Bible, Victor, ce n’est pas pour me l’entendre réciter. C’est pour connaître l’opinion de ses rédacteurs sur l’existence possible des dragons. Alors ?

- Euh... c’est que... il y a Saint Georges, qui a terrassé ce qui semble être... un dragon. Il y a aussi Saint Michel, et...

- Ah, vraiment ? Accordez-vous quelque crédit à cela ?

- Je... je ne sais pas. Je n’aborde pas la Bible en ces termes, comme un ouvrage... sérieux. Enfin, ce n’est pas ce que je voulais dire ! C’est juste que...

- Que vous doutez, c’est cela ? Vous doutez de la science et de la Bible ? Vous pensez que la vérité, quelle qu’elle soit, ne se trouve peut-être ni dans l’une, ni dans l’autre ?

Le sourire avenant de Meï est une invitation. Victor lui sourit en retour, trop heureux d’avoir deviné ce qu’elle attend :

- Oui, mademoiselle. La vérité ne se laisse pas facilement emprisonner dans nos façons de voir. Elles sont souvent trop étriquées.

La préceptrice relève la tête, hume l’air comme pour s’emplir des senteurs du parc, en un geste d’une grâce et d’une sensualité inattendues.

- Vous progressez, je vous en félicite ! Venez, monsieur. Je vous offre un thé sous la grande verrière.

Le cœur de Victor bat plus vite, plus fort.
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