Le cercle zététique

Le col de son manteau relevé, les mains dans ses poches, elle avançait rapidement...

Regardant une dernière fois la carte de visite reçue deux jours plus tôt, elle en vérifia l'adresse exacte.

Arrivant devant la façade de l'hôtel de Nice, elle pénétra ce haut lieu des sciences, observant en détail chaque meuble agencé...
Elle se dirigea vers le maître d'hôtel, grand homme guindé habillé de façon fort désuette... Elle savait déjà pouvoir sentir l'odeur de la naphtaline qu'elle pourrait bientôt percevoir de manière olfactive.

- "Humm... Bonsoir monsieur .
Constance Balzac.
Monsieur de Saxe m'attend d'ici..." Elle regarda sa montre à gousset et précisa.... "Cinq minutes exactement..

Veuillez avoir l'amabilité de lui dire que je suis arrivée. Où puis-je patienter ?"

Ses yeux scrutateurs fixaient son interlocuteur, dans l'attente d'une réponse. Elle se tenait droite et digne. Constance était nette et précise dans ses actes comme dans ses paroles et ne s'embarassait jamais de salamalecks en tous genres.

L'homme au visage de cire parût étonnament surpris de voir la jeune femme...
C'était bien la première fois que Monsieur de Saxe proposait à l'une d'entre elle de participer à une soirée et pour tout dire, il avait été tenter de l'éconduire.
Mais l'initiative personelle ne faisait pas partie de ses gages et aussi poliment que froidement, il invita la jeune femme à rentrer et à ôter sa capeline...

- Veuillez prendre place dans le petit salon...Monsieur de Saxe ne devrait pas tarder, il n'est jamais en retard.

Le maître d'hotel poussa la porte du cossu salon bourgeois et y montra un fauteuil Voltaire auprès de la table

- Si mademoiselle veut se donner la peine de s'assoir...

L'une des femmes de chambre sortit précipitament de la pièce, laissant Constance seule dans cette pièce aussi sévère que ne devait l'être son propriétaire.
Une impressionante bibliothèque regorgeaient d'ouvrages scientifiques de grandes valeurs et d'un nombre incalculable de traités sur les mythologies du monde entier...
Un petit secretaire, savament rangé, laissait apparaître un écrin à plume et un crâne phrenologique d'un réalisme presque effrayant..

Sa main se dirigea vers le traité de F.J. Gall, intitulé

"Anatomie et physiologie du système nerveux en général et du cerveau en particulier."

Ainsi De Saxe s'interessait à l'étude du cerveau, à la phrénologie, cette science nouvelle qui pensait trouver les qualités psychologiques des individus à partie des bosses du crâne.


L'original.... un véritable trésor daté de 1810... Ses yeux en commencèrent la lecture avec avidité...

Citation :

PREFACE :

A chaque découverte et surtout à chaque nouvelle doctrine, on a coutume de demander :

Comment l'auteur en a t'il eu la première idée ?

Quoique les mêmes objets ne conduisent pas les différents individus aux mêmes méditations ; cependant, lorsque ces objets sont rapprochés et présentés avec ordre, ils font naître dans l'esprit du lecteur des idées si analogues à celles de l'auteur, et souvent la découverte lui parait une chose si naturelle, qu'il est disposé à s'écrier : comment ne l'ais je pas fait depuis longtemps...

C'est ce qui est arrivé à l'égard de ma doctrine dont l'origine repose sur des faits très ordinaires et naturels.
La plupart de ceux qui ont entendu mes leçons se sont dit et je suis persuadé que le plus grand nombre de lecteurs se diront, en finissant la lecture de cet ouvrage : comment se fait il qu'on ait méconnu ces vérités ?

Absorbée par sa lecture, le visage dont l'expression témoignait de la passion qui l'animait quant à cette théorie, Constance goûtait l'instant, savourant chaque mot.

L'homme était il réellement déterminé... Nulle possibilité d'y échapper ?

Ses sourcils se froncèrent... Mais il fallait se rendre à l'évidence...

- "Oui nos actes sont déterminés par ce que nous sommes... Et nous n'y pouvons rien changer..."

inconsciemment elle avait parlé tout haut...

- Brillant...Vraiment brillant... L'excellence dans le domaine scientifique passe par une bonne connaissance des théories...dont il faut ensuite s'affranchir.
Remettre en doute et réfléchir, voici les armes de la science.

La voix posée du vieil homme, chaleureuse et pourtant ferme, fit retourner la jeune femme...Il tendit la main droite vers Constance

- J'ai vu énormément de personne buter sur Gall ou l'interpreter d'une façon tout à fait inexacte, mais vous en avez semble t'il, extrait l'essentiel..
Je n'ai pas pour habitude d'accueillir des débutantes à peine sorties du couvent, mais votre professeur m'a parlé de vous en termes élogieux et je crois deviner qu'il ne s'est pas trompé...
Je suis Raymond de Saxe...

- "Constance... Balzac... Je vous remercie de bien vouloir accueillir l'oie blanche que je suis.... "

sourire quelque peu moqueur...

"Et bien Gall est, disons-le, fascinant... Seulement il ne tient pas compte du paramètre de l'environnement social et culturel, qui influe tout de même ce me semble un peu....

Il n'y a qu'à lire l'étude sur l'enfant sauvage de l'aveyron pour doûter que seule la forme du cerveau suffit à nous déterminer entièrement....
Que serait devenu cet enfant si né dans un environnement stable il avait pu développer ses facultés premières... Alors oui nous sommes déterminés mais je pense aussi qu'une part de culture finit d'achever son oeuvre sur nous...

Enfin de toute manière, il serait illusoire quoi qu'il en soit d'imaginer que nous sommes libres de nos choix... Alors qu'importe ?

Ne croyez-vous pas ?"

Elle serra alors la main tendue, une lueur amusée dans les yeux... La condescendance à peine voilé de l'homme était compensée par la bienveillance de son regard. Et Constance apprécia la fraîcheur de la franchise sans détour de l'illustre savant.

Le sourire de De Saxe s'aggrandit...
Voilà un esprit bien fait dans un corps bien fait songea t'il intérieurement avant d'être interrompu par le majordome : deux membres du cercles venaient d'arriver..

- Ha... s'exclame De Saxe voici nos invités...

Un homme petit et sec, au regard terne entra dans la pièce en laissant une capeline usés aux bras du domestique, derrière lui un homme élégant, d'une cinquantaine d'année venait avec grand sérieux à sa suite...
De Saxe désigna le petit homme fluet et lui serra la main

- Voici Simon Lambil, un des plus grands mathématicien de ce siècle de lumière...

Lambil le coupa d'un geste sec et se contenta d'agiter la tête en guise de salut...Visiblement, le mathématicien voyait d'un mauvais oeil la présence de la femme au sein du cercle...
Légèrement gêné par l'hostilité manifeste de l'homme, de Saxe enchaîna en introduisant le second

- Et voici le proffesseur Mondal, de l'académie de physique...

Grave, mais plus diplomate, Mondal se fendit d'un baise main rapide avant de se tourner vers de Saxe l'air interrogateur

L'attitude des deux hommes n'échappa pas à Constance qui sans se départir de son flegme, les salua...
Elle n'avait pas de temps à perdre avec ce genre de comportement et préférait de loin, passer outre et aller de l'avant...

"- Bonsoir messieurs, c'est un honneur que de vous rencontrer... J'ai beaucoup entendu parler de vous par le professeur Ampère que je seconde dans ses travaux sur l'éléctromagnétisme... "

Un sourire froid et de circonstance s'afficha sur son visage.
Constance eut la satisfaction de voir l'étonnement de peindre sur le visage des deux pédants et bénit son precepteur de lui avoir ouvert les portes de ce temple du savoir qu'était la Sorbonne... Elle avait ainsi pu y rencontrer André-Marie qui l'avait prise sous son aile.


Puis, connaissant les vertus du silence et laissant ses paroles pénétrer le mental des personnes présentes, elle se tut.

La démonstration de force, si elle passa modérement au niveau des deux scientifique, ravit au plus haut point de Saxe, qui entama la soirée avec des constatations philosophiques sommaires sur l'emprise de la religion, qui malgré le ciment social qu'elle pouvait autrefois, ne restait qu'une entrave à l'esprit libre aujourd'hui...
Le commentaire laissa le mathématicien de marbre mais fit échapper un gloussement à Mondal, qui fit rouler son verre dans ses mains, avec un air détaché....

- Raymond, vous me faîtes penser à ce que j'ai entendu ce tantôt, alors que je me promenais sur les Halles pour y acheter quelques bons fromages chez Aldebert...
Figurez vous qu'une fois encore, on a vu à St Eustache une vierge pleurer du sang.... Le prêtre était tellement ivre de suffisance, et racontaient ses balivernes avec tant de force que j'ai bien envie d'y retourner pour lui expliquer que la pleureuse doit certainement, une fois encore, contenir une bonne dose d'oxyde de fer....

Mais voyez vous, le fait est que, modeste chercheur, volontier arrogant, je ne suis qu'un piètre orateur, et chaque fois, même preuve à l'appui, la populace me rabroue...La bêtise semble plus facile à accepter que la réalité.

- "Il me semble plutôt que cette bêtise n'est que superstition qui permet quelquefois de mieux supporter la médiocrité d'une vie de dur labeur...

Je ne jette pas la pierre à ces crédules...
A quoi bon...

Cependant, je vous aurais bien accompagné afin d'observer ce phénomène qui ma foi m'amuse grandement...


Enfin... Ce que j'en dis finalement..."


Se souvenant de leur acceuil à son égard, elle se referma comme une huître, et termina de déguster son potage au cresson.

L'audace de la jeune fille agaçait fortement le mathématicien, mais le second convive commençait à s'en amuser....

- Mais certainement ma chère amie... C'est avec un plaisir non dissimulé que j'accepte une offre lancée avec tant de bonne humeur...
Je vous attendrais demain sans faillir à la place du Châtelet, pour vous mener en cet endroit.
Il est simple à trouver, je crois qu'un cirque s'y est installé il y a peu.

Le restant de la soirée passa à une allure folle et c'est vers la minuit que Constance prit congé de son hôte en le remerciant chaleureusement de son accueil ...
Il lui plaisait bien avec son air bienveillant...
Un homme de bonnes manières ce de Saxe....
Le fiacre la ramena chez elle rue des Augustins.



Le lendemain, à la dite heure elle se trouvait Place du Chatelet. Il était 13h, elle avait déjeuné d'une part de tarte aux courgettes dans le salon de thé de l'écureuil non loin de là.. Une tarte fameuse.. Piètre cuisinière elle n'en avait pas moins un palais de gourmet et cette tarte, vraiment ...

Mondal arriva avec quelques minutes de retard, s'excusa brièvement et lui proposa galamment son bras....
Confuse, et peu habituée, elle bredouilla quelques mots et glissa une main hésitante le long du dit bras.