Chez Madame de Bonneval

"Excellente idée. L'air ici est oppressant.."

François suivit M. Cramer vers une porte donnant sur la cour de la villa, attrapant au passage une coupe de champagne que portait un majordome.

Une fois dehors, toujours suivit de Marie Reine qui me suit comme mon ombre et accompagné de François avant de commencer à raconter.

"Alors comme cela vous êtes curieux en ce qui concerne les morts suspectes ?"

Inquiétude latente ou réalité, les deux hommes eurent bel et bien l'impression d'être observé.
Comme à son habitude, Madame de Bonneval fît en sorte que l'isolement des deux personnes ne soit pas dérangé, persuadée qu'enfin, le jeune Valentin avait trouvé un mentor capable de lui trouver un emploi ou tout du moins des relations...
Un homme mince, le monocle vissé sur l'oeil prit congé de son hôte avec précipitation.

- Monsieur Von Eggman ? Vous partez déjà ? s'étonna la bourgeoise.
Mais après les formalités d'usage, l'homme avait disparu.

Entendant le nom de Von Eggman, Lucius tique un instant n'écoute alors plus que l'instinct lui disant que si celui ci partait c'était soit qu'il avait peur de lui, soit que quelque chose le poursuivait. Tentant de repérer l'individu en fuite, l'aveugle tente de contacter Kerberos pour qu'il échappe à la surveillance du domestique sensé s'occuper de lui et qu'il se mette à la poursuite de l'alsacien pour jouer avec lui (gentiment j'entends, dans le genre le faire tomber)

François se dirigeait tranquillement vers la cour, et s'apprêtait a répondre a Lucius Cramer, lorsqu'il s'aperçut que celui ci lui faussait soudain compagnie.
Visiblement il cherchait a poursuivre l'homme au monocle qui quittait précipitamment Madame de Bonneval.

"Monsieur Cramer, que ... "

François vida la moitié de sa coupe d'un trait et l'abandonna. Il se lança sans réfléchir a la suite du musicien. Après tout, il était infirme et allait aborder un sujet troublant. Le jeune homme pressentait qu'il serait sage d'appuyer M.Cramer: l'expérience de ces dernières nuit lui avait démontré qu'il était risqué de se lancer aux trousses d'une personne qui disparaissait...
Valentin regretta de ne pas s'être muni de son révolver pour venir...

Avançant d'un pas franc, Lucius se rapprochait du fiacre en appelant son chien.

"Kerberos ! Viens ici mon chien, allez cesse d'embêter ces braves gens"

Mais le molosse ne sembla pas de cet avis, plutot décidé à se placer devant les chevaux et à leur barrant la route, tout croc sortie, allant même jusqu'à menacer ceux qui tentaient de le faire bouger.

"Qu'est ce qui te prends à la fin ?"

François stoppa net sa course dans le porche d'entrée. L'énorme chien qui était vraisemblablement celui de Lucius, barrait la route au fiacre dans lequel venait de s'engouffrer l'homme au tatouage. Ce dernier semblait bien pressé de s'enfuir. Tandis que M.Cramer se dirigeait vers son chien pour le maitriser, François alla droit au fiacre, sans réfléchir. Ce tatouage... Le même qu'arborait la fille de brume, le même symbole ornait le poignard qui la lui avait arraché... Tout en approchant a grand pas du coche, il marmonna entre ses dents, comme possédé... :

"Elle avait parlé de tortionnaires... L'œil obscur... L'œil obscur..."

Malgré les protestations des portiers, ll saisit la porte du fiacre et l'ouvrit violemment, presque dément, les yeux exorbités et les mâchoires serrées...

Eggman poussa des cris d'exaspération à la vue du chien qui bloquait la route et ordonna à son cocher d'avancer quel qu'en soit le prix, dusse t-il écraser l'animal...
L'hésitation du chauffeur fût trop longue et laissa le temps à Valentin d'ouvrir la porte à la volée.
Son air hagard effraya l'alsacien au plus au point qui fouilla vainement dans sa poche à la recherche d'un révolver...

- Guntër ! Gunter ! Schnell ! implora t-il à son laquais paralysé par le molosse tandis qu'il tentait de mettre un coup de botte en direction du jeune homme pour le faire descendre...

L'agitation attira la foule et le préfet Chaval, présent parmi les invités, fit son apparition.

- Qu'est ce qui se passe ici ? Jeune homme si vous ne voulez pas vous exposer à de sérieux ennuis, je vous conseille de laisser partir cet homme ! fit-il d'une voix tonitruante...

Conscient de la situation, Lucius prit alors un ton incisif.

"Kerberos, come here"

Le chien répondit alors et se posta à ses cotés. Guidé par les bruits de bagarre l'aveugle se racle la gorge avant de parler d'une voix calme et posée.

"Ahem ... messieur, je ne souhaiterai pas faire usage de la violence pour vous séparer"

D'un ton sec, Cramer s'adressa à son chien

"Kerberos, threat !"

Aussitot le chien se met à grogner et a montrer les crocs en position de chasse, assurant les deux chiffoniers qu'il ne fera pas de cadeau. Pendant ce temps un petit sourire s'affichait sur ses lèvres, sachant l'impression de personne juste que les gens de la haute société pouvaient apprécier

François accusa le coup de botte, et saisit le pied avant qu'il ne se retire. Il ne lâcha pas son étreinte, enragé, et s'apprêtait a grimper dans le fiacre pour jeter l'homme dehors. Les menaces du préfet le retinrent d'aller plus loin dans son initiative. Il regarda un instant le tatouage dévoilé sur le bras de l'alsacien. Derrière lui, le préfet de police s'impatientait, et le chien de Cramer se montrait menaçant. Il fixa le visage apeuré du fuyard, bien décidé a mémoriser chacun de ses traits. D'un air lourd de menaces, il approcha son visage du sien, et siffla entre ses dents :

"Si nous ne pouvons continuer cette conversation maintenant, ce n'est que partie remise, monsieur... Nous nous reverrons. J'ai hâte."

Il lâcha prise et recula d'un pas sans quitter ses yeux du regard.

Alors qu'il entendait Francois se reculer, Lucius fait un signe de la main à son chien qui redevint affectueux et calme. Il s'avança vers le fiacre et dit à Von Eggman.

"Je suis véritablement navré de cet incident cher monsieur, mon chien a du sentir quelque chose qui l'a excité ... Comment vous appelez vous ?"

L'alsacien se tamponne le front avec un mouchoir et essuie son monocle tombé au sol...
Lucius n'est pas dupe : sa voix est empreinte d'un certain malaise.

- Ze n'est rien...Ch'apprézie les animaux en rècle chénérale, mais ch'ai affaire urchente à rècler : mon exzitazion a du vaire réachir fotre jien...
Mais che rediendrais le nom de ze cheune homme ...Un féritable fou, chai bien cru qu'il foulait me tuer.
Mon nom est Hektor von Eggman, che zuis hiztorien à l'uniferzité de Strossburi...

Mettant la main sur l'épaule de Francois, je retiens ses ardeurs avant répondre à l'alsacien.

"Veuillez excuser mon jeune ami, il a cru un instant que vous en vouliez à mon chien quand vous avez demandé de passer de force dessus. Je suis Lucius Cramer, musiciens. J'ai cru comprendre que mon animal vous avez déchiré un morceau de votre veste, permettez moi de vous dédommagez. Donnez moi votre adresse et je vous en repaierai une neuve"

De plus en plus mal à l'aise, le chauve continua son explication douteuse...

- Ch'ai dit za sous le goup de l'exzitazion. Che savais que Gunter n'aurait chamais fait quoi que ce soit de la zorte....
Oubliez pour la feste....C'était une fieille redincotte, et che déjire touchours mes fêtements, che zuis extrêmement malatroit.
Mon épouse est habituée... tenta t-il de plaisanter nerveusement,
Merzi pour fotre sollicitute, mais j'ai affaire urgente à récler au plus fite, avant mon retour en Alsace....

François Valentin se contenait a grand peine. Mais il sentait bien que cet homme se reprochait quelque chose. Apparemment, Lucius Cramer pensait de même, mais demeurait serein. Ce dernier le tempérait tacitement d'une main sur l'épaule. Nul doute qu'il gardait un tour dans sa manche.
Cet homme, Hektor von Eggman, en dehors de son tatouage, était armé et sur les nerfs, ce qui était pour le moins suspect lors d'une banale soirée mondaine. Il fallait a tout prix qu'il sache où le retrouver. Réfléchissant fiévreusement pendant que l'alsacien débitait son flot d'excuses peu convaincantes, Valentin envisageait déjà de courir récupérer ses affaires pour filer l'homme au monocle des que celui ci repartirait. Repérer où il vivait... Ou se cachait...

Mais, confiant en l'assurance du musicien, il estima plus sage d'attendre de voir où mènerait l'éloquence de celui ci...

" Drès pien...Si fous inzistez..Je repars en Alsace temain matin, mais l'un de mes amis, le Comte de Philibert se chargera de fotre reguête, fous demanterez son adresse à nodre jarmante hôtesse...
Z'est fort aimable à vous...
Che dois fous laizzez dès à présent, Monsieur Gramer, en ezpérant fous revoir pientôt..."

L'homme ferma la poche du fiacre assez rudement et insulta le cocher en alsacien...
L'homme haussa les épaules et fouetta l'attelage, qui démarra...

Le sang de François Valentin ne fit qu'un tour.

"Monsieur Cramer, je vous prie de bien vouloir m'excuser, mais je n'assisterais pas a votre prestation musicale... "

Laissant là le musicien, il se précipita dans l'entrée et réclama ses affaires. Il les arracha des mains du majordome qui les lui apportait, et ressortit en trombe. Il repéra un fiacre qui ralentissait pour prendre a son bord un couple de belle allure. Les bousculant au passage, il se rua dans la voiture, provoquant un flot de protestations...

"Navré, je suis pressé... Cocher, je double votre paie si vous suivez ce fiacre... Roulez !!"

Alors que l'alsacien partait en donnant à Lucius un moyen de le retrouver, il entendit Francois s'excuser et se rendre vers la sortie. Cependant, il semblerait que Kerberos ne soit pas de cet avis. Le chien se poste devant le jeune homme, lui bloquant la route alors que son maitre s'approchait pour mieux se faire entendre.

"Je pense que nous devrions avoir une conversation vous et moi. Ensuite vous pourrez prendre le temps d'écouter mon petit récital, cela ne pourra vous faire que du bien dans l'état où vous êtes"

D'un geste de la main, l'aveugle l'invite à retourner à leur conversation avant qu'elle ne soit interrompu par la fuite de Von Eggman

Le molosse surgit devant lui, coupant sa trajectoire par surprise. François dérapa et manqua de s'étaler par terre. Son chapeau lui échappa des mains et alla rouler sur le pavé humide. Le fiacre s'éloignait dans la nuit pluvieuse, et disparut bientôt au tournant. François jura et serra les poings. Sur l'invitation de Lucius, il ramassa son chapeau, et suivit le musicien de mauvaise grâce, se retournant une dernière fois dans la direction empruntée par l'étrange alsacien.

"Soit, vous avez gagné, Monsieur Cramer. Pour l'heure. Je serais...(il but une longue gorgée de liqueur et grimaça avant de finir sa phrase) ...Ravi de discuter avec vous... "

Un sourire carnassier s'affiche sur le visage de Lucius alors que le jeune Francois le rejoint loin des oreilles indiscrète. Il intime alors à Marie Reine de l'attendre à l'intérieur avec son instrument, laissant seuls les deux hommes et le molosse discuter.

"Il n'est pas difficile de comprendre que vous et monsieur Von Eggman ne vous aimez pas. Il se pourrait donc que nos intérets se rejoignent. Expliquez moi ce différent et je concèderai à vous inviter lorsque l'adresse de votre Nemesis me sera confiée"

"Je veux bien vous le dire, mais sachez d'avance que cette histoire peut apparaitre des plus fantaisiste, surtout venant d'un malheureux chasseur de dragon, c'est pourquoi si vous ne me croyez pas je ne serais ni surpris ni déçu."

Il but encore une lampée de liqueur. Atteignant le fond, il leva le coude encore une fois et vida la flasque.

"Trêve de préliminaire : il y a quelques jours de cela, j'ai fais la rencontre d'un vieil ermite aveugle. Il m'a prédit une rencontre périlleuse avec une jeune femme, et un Œil Obscur. Cela s'est concrétisé dans la soirée... J'ai effectivement rencontré une jeune femme... Brune, pâle... Belle, belle a mourir, dirais je... Vaporeuse, comme si elle était présente, sans tout a fait l'être. "

A ce souvenir, François se sentit fébrile. Il lui semblait encore entendre la femme... Il désirait s'assommer d'opium, oublier cette histoire. Il tira une cigarette de son étui, en proposa une a Lucius et poursuivit :

"Elle était poursuivie par des hommes, tout de noir vêtus. Ils sont venus vers moi, mais elle m'a tiré de leurs griffes. Il me semble qu'elle parlait italien... Elle... m'a mordu. Elle a bu mon sang. Enfin, une petite quantité... Je crois. Je me suis réveillé a l'hôtel dieu. Une nuit, peu de temps après, elle m'a rendu visite, a mon appartement du 4e étage. Sans passer par la porte. Elle a cherché a m'attaquer, je l'ai mise en fuite. La nuit suivante, les hommes en noir m'ont retrouvé, mais la femme de brume a surgi, les a tué... Mais l'un des hommes lui avait porté un coup fatal, a l'aide d'un poignard. Elle s'est volatilisée. "

Ces souvenirs pénibles faisaient trembler sa voix. Tentant de chasser de son esprit son irrépressible envie de chandoo, il tira nerveusement plusieurs bouffées de sa cigarette...

"Et voici les faits troublants : elle arborait un tatouage : un œil noir sans pupille...Elle a évoqué des tortionnaires, qui en seraient les auteurs... Le poignard qui l'a tuée était décoré du même symbole. Et je viens de voir cet œil obscur, tatoué sur l'avant bras de ce Hektor Von Eggmann.
Voila mon histoire, Monsieur Cramer, jugez moi si vous le désirez, je n'en ai cure..."

Un frisson d'excitation parcourut le corps de Lucius alors que la haine de Francois montait crechendo dans son récit. Il afficha une mine plus que réjouie lorsque les mots "Oeil obscur" retentit à son oreille la première fois et encore plus la deuxième fois. L'aveugle prit alors la cigarette proposée par le jeune homme avant de répondre à sa déclaration.

"J'étais sûr que cette soirée me réservait des surprises mais un tel cadeau est d'autant plus excitant que tout ce que je pouvais imaginer ..."

Lucius place la cigarette dans sa bouche

" ... la vérité, cher Francois, c'est que vous n'imaginez pas à quel point vous êtes tombé sur l'interlocuteur adéquat pour comprendre votre problème au mieux. Le fait est que je vais concéder à vous laisser venir avec moi à la poursuite de monsieur Von Eggman mais à quelques petites conditions sur lesquelles je serai intransigeant. Vous resterez jusqu'à la fin de la soirée, pour écouter mon récital. Vous rencontrerez des personnes à mes cotés et vous comporterez comme un gentleman. A la fin de la soirée, vous m'inviterez à dormir chez vous, me présenterez à vos soeurs comme un mentor ou encore une personne ayant décidé de vous prendre sous son aile. Le lendemain, nous irons alors voir des personnes charmantes avec qui nous oeuvrerons à comprendre et faire disparaitre le problème qui vous tracasse ..."

L'aveugle fait mine de chercher un briquet sur lui

" ... Croyez moi, attaquer Von Eggman seul serait très dangereux pour vous car il dispose sans doute d'un soutien qui vous dépasse de loin"

Il place ses mains comme un cocon en dessous de sa cigarette.

"Heureusement pour vous, ce soutien et moi avons un petit différent semble-t-il"

Il ouvre ses mains et laisse apparaitre un papillon de braise qui se posa sur le bout de la cigarette et l'alluma avant de se dissiper. Bloquant tout fuite possible de la part de Valentin, Kerberos lui bloque le chemin alors que Lucius lui tend la main pour sceller l'accord