Scenario VI Introduction pour Christine et François

Droite comme un i sur le quai, Christine ne jette qu'un oeil à Julian et un commis qui l'aide à monter sa malle dans le wagon. Serrée dans son corset d'un vert sombre, elle attend le jeune François, se demandant s'il sera à l'heure où s'il lui faudra user de son charme pour demander au conducteur d'attendre un peu...

Étonnement, François arriva a l'heure (enfin presque), tout essoufflé et une légère coupure au menton. Il portait sa malle d'une main et un panier a provisions de l'autre. Un pan de chemise flottait librement au vent et son col n'était pas refermé. Il vint prestement vers Christine :

"Navré... Pour le retard... Encore un peu et je devais attendre le prochain départ... Mais j'entends le chef de gare siffler. Puisque nous voici au complet, je suppose que nous pouvons embarquer.
Il se plaça a coté de l'entrée du wagon, et déposa sa malle au sol pour liberer une main qu'il tendit a Christine pour l'aider a monter :
"Après vous, Madame."

Christine sourit, ravie - il est à l'heure !

Elle prend la main de François mais le jeune homme a l'impression de tenir un papillon dans sa main : elle ne prend pas vraiment appui sur lui... Elle monte à son tour en relevant sa jupe avec délicatesse et, tandis que la porte se ferme et qu'ils sont serrés dans le vestibule, elle sourit :

- En voilà une tenue, jeune homme !

Et sans demander de permission, elle remet le col sous la veste et le pan de chemise sous la ceinture. Elle recoiffe aussi une mèche de cheveux. Tandis qu'elle fait tous ces gestes sans le toucher - le frôlant à peine de ses doigts délicats par moment - il peut respirer son parfum entêtant, voir de près le grain de sa peau à l'aspect de pèche. Quand elle a fini son travail, elle se recule d'un pas et affiche un sourire réjouit :

- Et bien, voilà qui est mieux. Maintenant, je n'aurai pas honte de voyager avec vous...

D'office, elle lui prend le bras et se dirige vers les premières classes, laissant Julian et les malles dans les secondes. Alors qu'ils remontent les couloirs, elle jette un coup d'oeil dans le panier du dandy :

- Des provisions ! Vous m'étonnez ! Je ne vous aurai pas cru si prudent. Ou peut-être est-ce votre mère qui s'en est occupé ? Ou une domestique prévoyante ? dit-elle avec un clin d'oeil. Pour ma part, j'avoue ne pas y avoir pensé du tout ! Je n'ai pris qu'un livre en tout et pour tout, or cela ne nourrit guère..., précise-t-elle avec une moue légère. Mais j'espérais qu'il y aurait un service de restauration dans le train...

Arrivée devant leur compartiment, elle jette un regard aux deux personnes présentes et murmure à l'oreille de François :

- Quel dommage, on va manquer d'intimité !

Puis elle se met un rire légèrement avant de s'installer et d'observer attentivement leurs voisins.

Un peu étourdi par le parfum de Christine, François rougit et s'éclaircit la gorge pour tromper son trouble, le regard fuyant. Installé près de la fenêtre, il regarda défiler le paysage sans piper mot : les édifices se firent plus rares, la végétation et les champs plus nombreux, bientôt Paris était derrière eux. Puis il reporta son attention sur les autres occupants du compartiment. Se dissimulant derrière son chapeau, il glissa a l'oreille de Christine :

"Cette femme m'a tout l'air d'une grenouille de bénitier. Je me demande ce qu'a pu faire ou dire cette homme pour l'incommoder a ce point ... "

Il se retint de rire en imaginant l'homme faire une proposition indécente a la dévote, sous l'effet de l'ébriété ou simplement par provocation. Puis, pour faire la conversation, il se tourna vers sa compagne de voyage :

"Bien, nous avons beaucoup de temps a tuer. Si vous m'en disiez un peu plus sur vous, Christine ? Vos occupations, que sais je... Seriez vous issue d'une lignée aristocratique ? Votre nom a particule m'a laissé le penser. J'ai cru comprendre que votre titre était Madame, et non Mademoiselle... Qu'en est il de votre époux ?"

- Oh, je n'ai jamais été mariée, dit Christine, rosissant légèrement. c'est surtout par rapport à mon âge... Puis elle change de sujet : Oui, je suis effectivement de naissance noble, même si j'ai été élevée dans la misère. La révolution n'a guère été bénéfique pour nos biens... Il m'a fallu faire preuve de volonté et d'astuce pour avoir le confort que vous avez pu percevoir dans mon salon...

Elle s'arrête quand l'homme se lève, et que le visage de son interlocuteur palit quelque peu :

- Quelque chose ne va pas ?

Alors que Christine lui répondait, François n'écouta que d'une oreille, suivant du coin de l'œil l'homme qui quittait le compartiment, puis se retourna, a plusieurs reprise, vers le couloir pourtant vide depuis déjà quelques temps.

"Heu, oui, heu... Pardon? Veuillez m'excuser, cet homme... Je l'ai déjà rencontré, j'en mettrais ma main a couper... Mais notre dernière rencontre ne me laissait guère supposer qu'il possédât les moyens de voyager en train, encore moins en première classe ! En fait, il mendiait sur les boulevards et s'abritait sous un porche... Un diseur de bonne aventure... Ou quelque chose de moins avouable... C'est des le moment où j'ai fait sa rencontre que ma vie a basculé. Il m'a prédit des choses qui se sont accomplies, pour mon plus grand... Heu... Malheur, je suppose... Étrange, pour le moins... Étrange... "

Il se retourna, pensif, et fixa un peu stupidement la dévote qui se sentit apparemment outré d'un regard aussi insistant. Mais il n'y prêta pas trop attention : ses pensées étaient plutôt désordonnées, et il se fit violence pour réorganiser ce capharnaüm mental... L'aveugle, l'opium, la vampire, l'absinthe, un autre aveugle, Von Eggman, l'incendie, l'Alsace, Christine, a nouveau l'aveugle, probable annonciateur de malheur, pas mariée... Il se redressa soudain, prenant pleinement conscience du résultat de son exercice de mémoire :

"Christine, il faut que je retrouve cet homme, et que je l'interroge... Je ne crois plus au hasard depuis quelques temps, et cet individu est en étroits rapports avec les rouages du destin... Heu... Attendez, vous n'êtes pas mariée? "

Christine fronça des sourcils, perplexe, puis sourit :

- Votre manière de présenter les choses est quelque peu incohérente... Quel rapport entre le fait que je n'ai jamais été mariée et ce vieil homme ? Vous dîtes qu'il prédit le destin ? Allons donc, nuil ne peut savoir ce qui arrivera, il y a trop de probabiltés pour qu'elles n'arrivent finalement pas... J'ai l'impression que vous êtes vraiment fatiguée, François. Vous devriez vous reposer...

Christine se voulait rassurante, et posa sa main sur le genou du jeune homme sans vraiment se rendre compte de l'incovenance de ce geste, et l'ota tout aussi naturellement. Cependant, son regard se porta machinalement sur le couloir, comme si ce qu'avait dit François à propos de cet homme l'intrigait... Et de fait - peut-être avait-elle frolé sans le savoir un autre comme elle ? Mais tenait-elle vraiment à en avoir le coeur net ?

- En tout cas, votre aveugle est bien vif, ne peut s'empêcher d'ajouter Christine. Etes-vous sûr qu'il est aveugle ?

Au contact de la main sur son genou, François se leva d'un bond, sous le regard accusateur de la dévote qui allait de Christine a François en marmonnant d'inaudibles malédictions :

"En fait, je ne saurais pas l'affirmer... Peut être n'est ce qu'un leurre, le fait est qu'il n'avait pas vraiment besoin de ses yeux pour s'apercevoir que je le suivais, lors de notre première rencontre... Et, heu... Quant au fait que vous ne soyez pas mariée, ça n'a certes rien a voir, mais qu'iraient penser les "honnêtes gens" en voyant deux célibataires voyager ensemble ? C'est bien le cadet de mes soucis, mais peut être n'est ce pas votre cas et je ne voudrais pas ternir votre réputation. Le vin ? Aimez vous le vin ? Il y en a une bouteille dans le panier qu'on m'a confié. Désirez vous une cigarette ? "

Sans autre forme de cérémonie il se dirigea vers le couloir qu'il trouva effectivement désert. Le roulis rythmé du wagon sur le chemin de fer était le seul bruit perceptible. Une cigarette aux lèvres, il se mit a remonter l'allée au hasard, scrutant chaque compartiment pour retrouver le vieux voyant aveugle. Ce faisant, il se mit a marmonner :

"Sa présence ici n'est pas un hasard... Pas plus que la dernière fois... Il est venu ici pour m'annoncer quelque chose, si je veux l'entendre... Je veux l'entendre... Quand bien même il m'annoncera ma mort prochaine, je dois savoir..."

Perplexe, je suis sans me cacher mais sans trop l'approcher, pour ne pas l'importuner, le jeune homme.

"Et acrobate avec ça !" s'exclama le dandy. Puis se tournant vers Christine qui le dévisageait d'un air perplexe, lui sourit et dit d'un ton tranquille : "Veuillez m'excusez; mademoiselle, je n'en aurais pas pour longtemps."
Sans attendre sa réponse, il s'élança vers la porte demeurée ouverte. La pluie lui battit le visage, le réveillant tout a coup. La nuit reprenait ses droits sur le jeune homme qui se sentait prit d'un élan fiévreux. Sans l'ombre d'une hésitation, il enjamba a son tour la rambarde -avec une aisance qui l'aurait lui même surprit s'il avait prit la peine d'y faire attention- et s'engouffra dans le wagon de seconde classe, bien déterminé a rattraper le vieil homme. Il entra en trombe en lançant :

"Arrêtez vous ! Monsieur, nous devons nous entretenir !!"

Christine haussa les épaules et fit demi-tour. Elle n'allait pas peut-être abimer sa robe pour poursuivre un pseudo-mendiant pseudo-aveugle pseudo-devin.

Elle retourna donc à sa place et se mit à lire le dernier Balzac.

Avant d'entamer la première ligne, elle en put s'empêcher de sourire à sa dernière phrase. Il avait peur de ternir sa réputation... S'il savait... Elle était une perle cachée dans un océan d'hommes, et les seules femmes de la société qu'elle avait rencontrées n'avoueraient jamais qu'elles la connaissaient, car pour cela il faudrait dévoiler les circonstances de cette rencontre... Non, elle n'était pas connue, elle n'apparaissait nulle part, elle n'était qu'une ombre, qu'un murmure... et c'était bien ce qu'elle avait voulu.

Dans le crâne de Valentin résonnait la voix du vieil homme

" Il vaut mieux pour votre raison, que votre ignorance se porte aussi bien qu'elle se trouve aujourd'hui, jeune homme."

Le costume noir s'enfonça dans les couloirs du train puis ouvrit une autre porte à la volée avant de disparaître à l'intérieur.
Le corridor sur lequel il donnait ne semblait avoir aucune lumière, tant il était sombre : même la lumière extérieur semblait ne pas pouvoir pénétrer l'obscurité du compartment dans lequel la silhouette s'était engoufrée

François hésita un instant, un nœud se formant dans son estomac. L'obscurité du compartiment ne lui inspirait guère confiance et il regretta aussitôt d'avoir laissé son arme dans sa valise. Tandis qu'il se tenaillait l'esprit entre sa volonté de savoir et sa Raison qui lui déconseillait d'entrer, le nœud dans son ventre se mua en une violente crampe. Le manque. Il se rattrapa contre le mur.

François se mit a trembler tandis que les couleurs quittaient son visage et la sueur inondait les mèches de cheveux qui pendaient sur son front. La mâchoire crispée, il jura entre ses dents :

"Bon Dieu... Pas maintenant !! ... "

Il regretta d'avoir laissé Christine en arrière, même s'il ne savait pas trop en quoi elle eut pu être secourable. N'importe quelle aide aurait été la bienvenue...

"Tant pis, assumons... Alea jacta est, disaient les romains... "

Avec un dernier juron, il se redressa et fit un pas dans l'obscurité...

Christine, lasse d'attendre, finit par s'endormir.

Si, à son réveil, François n'est toujours pas là, elle tentera de savoir où il est en utilisant la sorcellerie...

Tracassée, Christine ne parvient à trouver le sommeil...

Tout cela est trop étrange...

Alors que la vieille femme dort, elle se lève, et se dirige là où elle a abandonné François. Elle n'aurait peut-être pas dû... Il lui est peut-être arrivé malheur ?

Elle regarde, un peu angoissée, le lien entre les deux wagons... Remonte sa robe, et enjambe pour parvenir au wagon où ils emblait vouloir aller.

Cela est stupide, il lui faudra peut-être remonter tout le train... Mais François semble avoir besoin d'aide, elle le pressent. Et elle a toujours eu raison, jusqu'ici, de se fier à son instinct...

Valentin semblait avoir traversé tous les wagons, prenant même le risque de marcher sur les rames de métal qui reliaient les voitures entre elles.
Selon les témoignages de certaines personne il semblait courir après une personne, sans qu'aucun des passagers présent n'ai pu apercevoir le 'fugitif".
Certains qualifièrent même François de "fou", en particulier une jeune femme qui prétendit qu'il avait marché sur son panier de provision sans s'en apercevoir.
Lorsqu'elle parvient enfin au dernier wagon, la porte semblait fermée.Un petit panneau annonçait

Citation :

WAGON HÔPITAL. ACCÈS FERMÉ

Cela n'avait aucun sens, pour Christine. Ou bien avait-il été simplement en manque ? Les effets secondaires d'une drogue hallucigocène prise à répétition, sans aucun doute. Elle avait mieux à faire que de s'occuper d'un drogué - pourtant... Pourtant l'étrange pressentiment était là...

Elle regarda la porte du dernière wagon. Il ne pouvait être que là. Elle frappa trois coups secs et sonores, attendant une réponse.

Des râles furent tout ce qui pouvait être entendu de l'autre coté de la porte.
Un membre du personnel du train tapota légèrement l'épaule de la jeune femme

- Excusez moi, Mademoiselle, ce wagon est fermé. Il n'y personne à l'intérieur pas même de personnel médical.

Le râle disparu immédiatement après les paroles du jeune homme, comme par enchantement