Scenario VII : Le Chapitre inachevé [Cassandre/Evelynn/Gwen]

A retourner l'enveloppe dans tous les sens, Gwendael avait fini par dénicher l'adresse de son ami poète. Aussi discrète qu'à son habitude, elle se glissa par la porte étrangement restée ouverte, et commença à monter l'escalier vers le dernier étage, là où logeaient les artiste désargentés.

sur le dernier palier, le bruit de la pluie ruisselant sur le toit et des roulements de tonnerre était couvert par des voix d'hommes. Elle s'arrêta un instant, mais ne reconnu pas celle d'Auguste. Peut-être un de ses voisins recevait-il quelques amis? les voix semblaient cependant tendues, et elle ne put empêcher un mauvais pressentiment de l'assaillir.

Elle hésita à rebrousser chemin, la timide jeune femme n'aimait pas affronter des inconnus, mais la crainte de savoir son ami en difficulté lui donna le courage d'avancer. Devant la porte se tenaient des policiers... qu'avait bien pu inventer Auguste? avait-il encore décrit en u n poème enflammé une femme nue et lascive, au point que l'un de ces bourgeois qui l'employaient avait porté plainte aux mœurs?

la lettre à la main, elle s'avança timidement, et murmura

excusez-moi je... je cherche ... monsieur...

- Bien sûr messieurs, voici la lettre.

Devant la main tendue de l'inspecteur, je lui remets la lettre que je tiens encore entre mes doigts. Puis je me retourne pour regarder une nouvelle fois l'intérieur de la chambre. Je fixe à nouveau le lit et son corps inanimé cherchant dans la position de celui-ci une réponse à ma question: qu'avait-il pu bien se passer pour qu'un jeune homme comme Auguste en arrive à se suicider.

Faisant à nouveau face aux inspecteurs j'ajoute:

- Sur quels faits aurais-je bien pu infirmer, ou confirmer, l'hypothèse du suicide ? Il semble bien qu'Auguste soit aller jusqu'au bout de son geste de désespoir. Je suis désolé mais je ne puis rien vous dire de plus, je ne sais vraiment pas ce qui a pu se passer.

Un tant soit peu perturbé par la situation je demande aux inspecteurs si ils ont encore besoin de moi.

- Non, Monsieur Deviel, ce sera tout, merci... fit le premier inspecteur.

Une timide silhouette brune, emmitouflée dans une cape d'hiver se découpa alors dans l'embrasure de la porte que l'éditeur se préparait à franchir...

- Excusez moi...Je cherche..monsieur.. commença t-elle avant de voir le corps de Frélot, étendu sur son lit...
Le second inspecteur se tourna vers elle et répondit avec un flegme déplaisant

- Monsieur Frélot sans doute ? Le voici...Il s'est pendu dans l'après-midi et nous sommes les inspecteurs en charge de l'affaire qui va se terminer très vite grâce à la participation de Monsieur Deviel. Vous êtes de sa famille, de ses proches ? questionna t-il sans le moindre tact

Je m'approche avec lenteur de la jeune femme qui semble se recueillir auprès du corps d'Auguste et je m'exprime d'une voix qui se veut douce:

- Mademoiselle, veuillez accepter mes sincères condoléances pour la mort de votre ami. Je ne peux que compatir à votre douleur.

J'attends pour observer l'état de la jeune femme qui parait très affectée par la mort du poète.

- Vous voir, c'est cela ? Apparemment, Monsieur a contacté les rares personnes qui lui étaient encore proche durant les trois derniers mois Mademoiselle...Et chacune de ses lettres contenaient un lourd sentiment de persécution.
Nous en avons conclu que ses excès avait joué sur son état de santé mentale, Monsieur Deviel assure ne lui connaître aucune personne voulant lui causer du tort. Pourtant...Auguste Frélot était armé...

Elle se prit la tête entre les mains, massant doucement ses tempes... c'était différent des autres fois... peut-être parce qu'elle connaissait Auguste? mais la sensation disparu presque aussi vite qu'elle était apparue, ne laissant à la jeune femme qu'une certitude, son ami ne s'était pas simplement suicidé... en tous cas pas de manière totalement libre et consciente.

Elle rougit en constatant que tous la regardaient, Monsieur Deviel avec compassion, les inspecteur avec une indifférence presqu'ironique. Elle interrompit son geste, espérant qu'ils n'y verraient qu'une tentative de contrôler sa peine.

Touchée de recevoir un signe de compassion, elle remercia l'éditeur d'un sourire timide, avant de se tourner de nouveau vers les inspecteurs.

Messieurs... je... enfin, je ne peux pas ... croire que... Auguste était excessif et instable, mais... mais pas suicidaire, ni.. ni fou. c'était un.. un artiste, un poète... avec... tous les excès qu'ont certains artistes... mais...

elle avait l'air ébahie.

Armé? non... c'est ... c'est impossible... je... aurait-il seulement su se servir d'une arme?

Elle ne savait plus que penser... ni même que choisir... devait-elle laisser les inspecteurs arrêter là leur enquête, et chercher par elle même ce que voulait Auguste? ce serait certainement plus prudent, il était des sujets qu'elle ne tenait vraiment pas à exposer à des inconnus, surtout aussi prompt à juger les gens. Mais pouvait-elle laisser ainsi classer la mort de son ami?

Elle hésitait, visiblement déstabilisée.

Visiblement la jeune femme semble très touchée par la vision de son ami décédé.

- Mademoiselle, il ne faut pas rester ici, laissez-moi vous raccompagner chez vous.

Me retournant vers les policiers, j'ajoute:

- Messieurs, il semble que nous ne pouvons plus rien faire de plus ici. Je crois qu'Auguste n'avait pas spécialement de famille à Paris. Je me propose de prendre en compte son décès et de m'occuper de son enterrement. Je vais faire appel aux pompes et funèbres de mon quartier.

Elle ne se sentait pas vraiment en état de décider quoique ce soit, et la proposition de l'éditeur fut presque un soulagement. Elle hésita cependant un instant... qu'allait-il arriver au corps d'Auguste? qu'allaient-ils en faire en attendant la sépulture? Mais elle n'osa pas poser la question. Monsieur Deviel avait dit prendre ces choses là en main, et elle apprécia la générosité du geste. Elle savait qu'elle n'aurait malheureusement pas pu offrir à son ami une sépulture décente, elle qui ne savait déjà pas ce qu'elle mangerait le soir même.

Elle réalisa que ce n'était pas ce soir qu'elle trouverait quelque mécène ravi de lui faire jouer quelques notes contre un salaire de misère, mais ce n'était plus sa priorité.

Elle se tourna vers le corps, s'inclinant avec respect, et pensant au plus profond d'elle même...

***Auguste... je ne sais pas si tu m'entends, mais... mais je ferai tout ce que je peux... je ne t'abandonne pas...***

elle s'adressa ensuite à monsieur Deviel

je... merci ... je... vous avez sans doute raison... je ne peux rien... de plus.
Et... merci pour votre générosité... il... il était si seul...

elle se redressa, prête à le suivre.

[hrp : il n'y avait pas une lettre adressée à Gwen?]

Les inspecteurs hochèrent la tête pour laisser partir les deux témoins...


- Ce sera tout pour nous, pour l'instant...N'hésitez pas à nous contacter si quelque chose vous revenez en mémoire.
Nous ferons transporter le corps de votre ami à la morgue municipale.
Bonne nuit.

Les inspecteurs refermèrent la porte derrière eux et disparurent dans les escaliers.
Apparemment aucune des lettres n'avaient été adressée à Gwendael depuis le bureau de Frelot.
Mais sa présence, angoissée, semblait toujours flotter aux alentours...

Le professeur Lecoeur avait autrefois évoqué la capacité de la jeune musicienne à sentir les tourments, et ce don semblait s'être métamorphosé en quelque chose de plus supportable qu'autrefois.
Pourtant, l'air dégageait toujours quelque chose de malsain, comme lorsqu'elle avait croisé le chemin de la créature du théâtre.

Les deux personnes, restées seules sur le perron de la sinistre chambre se retrouvaient maintenant dans le noir, face à face.

Dans le noir, les présences obscures semblaient encore plus perceptibles. Gwendael frissonna, mais n'osa rien dire... l'éditeur semblait un homme sensé, et il la prendrait sûrement pour folle. De toutes façons, comment parler de cela à un inconnu?

L'insoutenable sifflement à part, il lui semblait retrouver les sensations de ce maudit théâtre. C'est là qu'elle avait rencontré Cassandre... sans doute était-ce la seule personne à pouvoir l'aider, ou au moins l'écouter et la rassurer. Elle se sentit un peu plus forte à l'évocation de la jeune femme, comme si sa stabilité et sa force face à l'inimaginable pouvait rejaillir un peu sur elle.

Mais l'urgence était de trouver de quoi gagner quelques sous, juste ce qu'il fallait pour faire patienter son propriétaire...

Elle s'aperçut soudain qu'elle ne disait pas un mot, et que peut-être Alain Deviel l'attendait. Elle rougit, bafouilla quelques excuses, essayant de s'abstraire de la sinistre présence qui l'enveloppait.

Je... excusez-moi, je... j'étais perdue dans mes pensées...

- Je vous en prie Mademoiselle, je comprends tout à fait que vous soyez toute retournée par la situation. Je dois vous confesser que je ne suis pas très à l'aise moi non plus.

Je me rapproche de la table pour inspecter à nouveau le mot laissé pour la commande à la librairie ésotérique. Après en avoir relu le contenu, je m'adresse à nouveau à la demoiselle.

- Désolé, mais avec tout ça j'oublie mes bonnes manières. Je me présente, Alain Deviel, éditeur. J'ai édité certains ouvrages d'Auguste. Nous nous étions perdu de vue depuis quelques temps. Etes-vous une amie proche d'Auguste ?

Je ... oui, non, enfin... nous..

comment expliquer? elle n'avait jamais été amoureuse d'Auguste, ni l'inverse d'ailleurs... il la traitait plutôt comme une petite sœur, bien que ce soit souvent elle qui le retenait dans ses excès...

Enfin... il... il m'avait parlé de vous...
je... je suis Gwendael, et... je suis flûtiste... c'est comme ça que j'avais rencontré Auguste... vous savez, dans les salon... je jouais, il récitait...

Elle sourit, tandis qu'elle ne pouvait retenir ses larmes

enfin... disons que... c'est sans doute avec lui que j'ai fait mes plus beaux duos de ce genre... il était si enthousiaste, passionné...

elle omettait de préciser aussi le nombre de fois où elle avait tenté de le protéger de ses excès et ses démons... comme souvent face à un mort, seules les qualités viennent à l'esprit...

- Mademoiselle, vous me voyez désolé de la situation dans laquelle Auguste vous a mise. Saviez-vous qu'Auguste possédait une arme à feu ?

Je me retourne et me rapproche de l'arme pour l'inspecter. Vois-je des marques, un signe distincif, un symbole d'appartenance ?

Gwendael suivait des yeux les gestes d''Alain en train d'examiner l'arme. Elle n'arrivait pas à associer l'objet à son ami.

C'est... impossible... il n'aurait jamais acheté une arme... il... pensez-vous qu'elle puisse être à quelqu'un d'autre?

- Pour sûr...keuf, keuf..qu'il est à lui... fît une voix obscure dans l'escalier noir et grinçant...
Tout en montant les marches, l'ombre tâtonnante qui faisait cliqueter son bâton sur les murs lâchait de temps en temps de légère quinte de toux...

- Je vous le garantis, lorsque l'on voit certaines choses, on espère parfois toute sa vie ne jamais réouvrir les yeux...Jamais...keuf, keuf...

La forme voûtée atteint enfin l'étage où se trouvait les deux proches d'AUguste, simplement éclairée par le rayon de lune qui filtrait à travers l'oeil de boeuf..
Il s'agissait d'un mendiant, d'un âge incertain, au chapeau large et au visage émacié.
Ses dents terribles et abîmées se révélèrent dans un sourire horrible, tandis que le reflet de lune lança un éclair à travers ses lunettes entièrement noires...

- Alors jeunes gens. On court après la mort ?

cette voix.... elle la connaissait! Sursautant, elle se retourna et ses yeux lui confirmèrent ce que ses oreilles lui avaient fait pressentir... le mendiant de la gare de Lyon. Que de souvenirs cette voix venait éveiller. Pourtant leur rencontre avait été brève, l'homme avait disparu si vite...

Que faisait-il là? la dernière fois qu'elle l'avait croisé sa vie avait pris un drôle de chemin... Elle s'était sentie étrangement bien en sa présence à leur première rencontre, mais ne pouvait s'empêcher de frissonner en pensant que les premiers atroces sifflements avaient suivi de peu leur échange.

Vous.... qu'est-ce que... mais... que vouez-vous dire... et que faites-vous ici? Comment... comment le connaissiez-vous? et... et surtout qui êtes vous?

Son ton n'avait rien d'agressif, bien au contraire, il montrait plutôt un immense désir d'un véritable échange avec le mendiant. Comme la première fois, elle sentait qu'il savait tant de choses... si seulement il pouvait ne pas disparaitre aussi vite que la première fois en la laissant seule avec toujours plus de questions.

- Si je le connaissais ? Puarf ! fit l'homme en agitant la main Qui vous dit que je le connaissais ? Personne...L'ai je dit ? Non...Mais je sais ce que les gens comme lui ressentent...Les gens comme vous...Ceux qui n'ont pas de chance.

L'homme palpa ses poches avec étonnement

- Ho tiens ? kuf kuf...C'est..C'est étrange non ?

L'homme se mit à quatre pattes, et fouilla dans le noir

- J'ai...J'ai perdu mon bouton...Un beau bouton...Vous ne l'auriez pas vu ? Raarkuf kuf orf...Fichue toux...

Le mendiant se racla la gorge et cracha un énorme mollard dans la cage d'escalier...

- Qu'est ce que je disais...Ha oui, mieux vaut ne pas voir tatatata...Oui...Ou ne pas entendre, ça marche aussi remarquer. Ca ne doit pas être pratique...Où est ce bouton à la fin ?
Lui il lisait...Il lisait trop...Vous savez, on dit toujours au jeunes filles de ne pas ...haaa, ça y'est ! fit l'homme en se redressant triomphalement un bouton à la main de ne pas trop lire...Ca leur égare l'esprit...Tenez...

Il glissa dans la main de la jeune femme le bouton de cuivre qu'il venait de ramasser, avant d'entamer sa descente des escaliers

- Lui aussi, il s'est égaré...Hurf keuheuheuf...Un peu trop loin...La plume, la plume, ça les perds tous, au bout d'un moment, c'est elle qui voit...C'est bien le malheur...

La voix se fit de plus en plus lointaine dans l'obscurité de la cage d'escalier.
Le bouton lui avait du appartenir à un vieil uniforme de chasse. Il représentait un soleil...exactement le même que celui qui ornait la devanture de la librairie de Cassandre

tout comme la dernière fois, il avait disparu sur des phrases mystérieuses, laissant la jeune femme avec ses questions et ses hésitations. Elle regarda le bouton qu'il avait glissé dans sa main, intriguée, mais aussi rassurée d'avoir un objet auquel se raccrocher. Dans la demi pénombre, elle ne distinguait pas tous les détails, mais un motif l'interpela... où avait-elle déjà vu ce soleil?

Il ne lui fallut que quelques instants pour repenser à la librairie. Elle inspira profondément... autant elle n'aurait pas osé déranger Cassandre si tôt après leur aventure, juste pour lui parler de la mort étrange d'Auguste, autant elle avait maintenant une raison logique d'aller voir son amie...

Elle devait s'avouer soulagée... elle ne savait pas très bien comment elle pouvait terminer cette soirée, sans travail, avec sa dette pour sa mansarde, et cette sombre douleur au fond d'elle, mélange de tristesse pour son ami et de quelque chose de plus insidieux qui lui rappelait ses sifflements...
Un regard amical ne serait pas de trop...

elle salua discrètement l'éditeur avant de resserrer sa cape sur ses épaules pour ressortir.

la librairie de Cassandre [euh... faut que j'aille dans quel post? celui de la librairie ou celui de cassandre?]

Les rats!

Cassandre détestait ces bestioles!

Et pourtant, dès que les premiers rayons printaniers dardaient sur les facades de la capitale, les envahisseurs de l'ombre revenaient, se faufiler dans les rayonnages de la librairie, explorer les recoins sombres du grenier, galoper le long de l'escalier vermoulu de la boutique...de quoi contraindre la pauvre Cassandre à la nuit venue à une bien étrange symphonie...qu'elle essayait malgré tout d'ignorer tout en cherchant un sommeil impossible...

Et maintenant, ils frappaient à la porte! mais d'où venaient-elles réellement ces créatures, des cauchemars de Cassandre, ou du tréfond des égouts parisiens...

Cassandre ouvrit les yeux avec difficulté...la pénombre nimbait la petite chambrée...elle tatonna quelques instants, à l'aveuglette, redécouvrant les objets incongrus posés sur sa table de nuit, puis parvint enfin dans une semi-conscience à allumer la lampe à pétrole baroque qui tronait sur son chevet.

Une forme qu'elle venait d'effleurer la rassura : le pistolet à poudre que Gabrielle lui avait confié.

A present que les sons se faisaient plus distincts, elle réalisa que les coups répétés qu'elle avait perçue étaient des tambourinements étouffés sur le volet de la boutique.

Cassandre se leva, s'approcha à pas feutrés de la fenêtre qui dominait la rue, et observa à travers les persiennes la forme indistincte qui se tapissait dans l'obscurité de "la Mouffetard".

Elle saisit l'arme en main, arma le chien, puis ouvrit la fenêtre d'un coup sec, et apostropha tout en la menaçant la silhouette inconnue :
- Qui êtes-vous? Que voulez-vous? La boutique est fermée jusqu'à demain matin...je suis armée vous savez si des fois vous me vouliez me chercher des ennuis...

avant même que la libraire n'ouvre la fenêtre, Gwendael avait perçu le léger bruit d'une arme que l'on prépare à tirer. Autant par prudence que pour ce montrer, elle recula de quelques pas, et rabattit son capuchon pour dévoiler son visage. Elle aurait pourtant du se douter que frapper ainsi en pleine nuit ne pouvait qu'effrayer Cassandre, surtout après leurs récentes aventures...

Elle murmura, cependant suffisamment fort pour que sa voix porte jusqu'à son amie.

Cassandre... je... c'est... gwendael... je... je suis désolée... en pleine nuit... mais... je... je crois que j'ai besoin de te voir...

elle se rendait compte soudain de l'égoïsme de sa démarche. N'aurait-elle pas pu attendre le lendemain matin? Mais encore plus fort que la gêne de déranger, il y avait ce sentiment oppressant qui la submergeait.