Le relais des fosses [Scenario III]

La serveuse prit un air de circonstance...

- Ho oui, Monsieur Jean...Il est parti en fiacre avec les deux demoiselles..Vous savez, je ne juge pas les affaires des clients ,ils font ce qu'ils veulent, hein...Quant à où ils sont aller, je peux pas vous répondre, vraiment...

Mince, elle n'avait pas prévu cela...

Elle commanda une boisson et s'assit confortablement dans un recoin. Elle était seule mais cela, sans doute, ne durerait pas... Elle attendait qu'on lui apporte la boisson, ce qui lui permettrait d'assouvir sa curiosité.

De là où elle était, elle pouvait parfaitement voir le groupe magyar. Elle les observa attentivement en attendant...

Lucien était rassuré, Coraline et les deux amis de Jacques étaient parties, ne restaient que Jacques, Phillipe, lui et Madame d'Armille...


Une seul femme pour tant d'homme, c'était parfaitement déplacé.
Sauf si l'étrange inconnue se joignait à eux.
Mais il n'en avait cure.
Le libertinage était avant tout un rapport de force.
Ceux qui cédaient à la pudeur, parraissaient gênés étaient des perdants.


L'aura de Jacques était forte, troublante. Même si Lucien n'avait aucune espèce d'attirance pour le sexe fort, il en ressentait les effets. Or, pour discuter d'égal à égal avec lui, il devait se montrer fort, sans peur, voire provocant.


Il but un grand verre d'eau, soulageant ainsi sa pauvre gorge. Puis se servit derechef une bière...
Enfin, il retira sa veste, prit un verre de vin et étendit les bras.
Il s'agissait encore d'un code.
Il montrait qu'il était disponible pour la suite et avait hâte de commencer.

La coutume exigeait que ce soit les femmes qui fassent le premier pas, même s'il était subtil. Si aucune ne le faisait, il ne se passait rien voilà tout. Il arrivait aussi que ces dames décident de fairer durer le plaisir en affichant une parfaite et fausse candeur. Dans ces moments là il fallait se montrer patient, jouer le jeu, voire faire une cour en bonne et due forme.
C'était une façon de laisser toute latitude aux dames de diriger les "séances". Les homme se contentaient de montrer qu'ils étaient disponibles.
Cette méthode avait pour utilité d'écarter les idiots, les impatients, les brutes, les sans-finesse. Et puis sans cet attirail de codes, ces soirées légères n'auraient été guère différentes de ces soirées lupanars où les femmes en sont que des objets pour les hommes.

Madame d'Armille était désormais Maîtresse à bord. A moins que la belle inconnue ne se décide...


Mais Lucien se fichait bien du futur immédiat. Seul comptait Jacques.
Son regard intense s'accompagna de pensées :
<<Je n'ai pas peur de toi. Et loin de tes succubes tu n'es pas si fort.>>

Lucien fixe Jacques des yeux avec une intense concentration.

Mais au fait ? Où avaient-elles emmené ce pauvre Jean ?

Volpino sourit au regard carnassier de Lucien...Son regard se teinta d'amusement et il amena à lui Madame d'Armille avec delicatesse...Celle ci commença à lui embrasser le cou...

- Dommage que votre amie ne se soit pas jointe à nous, gloussa celle ci,

- Mais au fait...Où est Jean, s'inquiéta Philipe...

- Ne vous posez donc pas autant de question Philipe[i] fit la seduisante madame d'Armille venez ! Et vous aussi Lucien, ne restez pas seul, voyons...

- Je suis désolé, Anne sophie, je...je vais voir ce qu'il en est, vous savez, Jean a été fortement touché par les propos de Coraline, et il est si fragile...Je vais le retrouver...

Jacques tiqua, visiblement insatisfait....

- A votre aise... Je pense que nous nous en tiendrons la de toute façon..Le caractère de cette femme m'a contrarié...Je vais rentrer à mon tour...

Madame d'Armille haussa les épaules de dépit et accorda un clin d'oeil à Lucien...

- Tant pis, ce sera pour une prochaine fois, hein Lucien ? Ne me decevez pas cette fois....

Lucien attendit que Phillipe et Jacques sortent.

Il se leva, vérifia que personne ne viendrait les déranger et se rassit aux côté d'Armille.

Il prit sa main d'un air affecté.

<<Je suis votre servant Madame...>>

Elle prit un verre de vin et le toqua contre celui de Lucien avec un sourire de profonde satisfaction.

<<Savourons l'instant mon ami.>>

Belle affaire... Jacques était parti de façon très impolie.
D'Armille était influente et Lucien lui épargnait, d'une façon très cavalière certes, une certaine humiliation.



*** ***



Lucien reste attentif.

La boisson fut servie à Coraline et celle-ci, toute attentive aux Magyars, faillit la boire... Ce ne fut qu'en sentant le doux contact du liquide contre ses lèvres de pêche qu'elle se rappela de sa priorité...

Elle jeta un discret coup d'oeuil aux alentours pour être sûre que personne ne faisait attention à elle... Mais elle avait choisi un coin sans lumière et personne ne l'avait remarquée. Elle murmura alors, d'une voix chantante, une voix ensorcellante...

Eau, tu connais le doux secret de mes pensées,
L'objet de ma tendresse ou de mon intérêt :
Montre-moi à mes yeux de son absence las
Son visage et le lieu où le mènent ses pas.

L'eau se troubla un peu à la surface et elle vit...

La scène ne manquait pas d'interet pour un spectateur averti...
Jean, placidement assis sur un lit qui semblait être le sien, à la vue de la toile accrochée au dessus de son lit, était en la charmantes compagnie dénudés des deux créature de Jacques...
Le malheureux semblait complètement soumis à leur volonté mais son ravissement béat indiquait clairement que son sort ne lui déplaisait pas...

Pour Lucien

- Lucien ! Lucien ! N'allez pas si vite...J'ai bien peur que ma passion fut raffraichie pour ce soir...Je reçois dans deux jours, venez me rejoindre dans la petites gentilhommière que vous connaissez bien...
Je suis contrite de voir Jacques froissé...Amenez lui votre jeune amie, où sinon il sera execrable...Vous ferriez ça pour moi Lucien ?

Nouveau tour

Dépitée par la jalousie, Coraline laissa tomber le verre dans un fracas de verre brisé...

Si vite aimée, si vite oubliée... La brûlure était cuisante dans le coeur de Coraline. Elle n'avait plus qu'une envie : laver cet affront dans le cours d'une onde fraîche...

Elle se leva tandis que les gens autour d'elle chuchotaient.

Elle traversa la salle sans faire attention à ce qui l'entourait.

- Coraline !

Philipe tenta de courir après la jeune femme et parvint à la rattraper...

- Coraline, je sais que nous sommes partis sur de mauvaises bases, mais je pense qu'il va arriver quelques chose à Jean...Il n'est pas comme cela d'habitude...Vous l'avez "changé"...C'est un garçon sensible mais influençable...

- Votre ami Jean... C'est bien la peine d'en parler ! Et moi qui le prenait pour un garçon bien ! Il est parti avec ces deux... succubes et je suis sûre qu'il ne s'ennuie pas, à l'heure qu'il est... Vous avez tort de vous inquiétez pour lui, vraiment... Je partageai votre crainte mais...

La colère la faisait siffler... Elle était très pâle et Philipe se put s'empêcher de s'inquiéter pour la jeune femme.

- Vous allez bien, Coraline ?

Son ton était soucieux et cela la rasséréna un peu. Non, elle n'était pas tout à fait invisible... Elle reprit ses esprits peu à peu tandis que Philipe lui faisait apporter un verre d'eau qu'elle but d'une traite.

Après tout, si Philipe, son ami, s'inquiétait, il devait avoir ses raisons...

- Si vous y tenez, je veux bien vous suivre, dit-elle faiblement.

<<Votre beauté m'a ennivré Ma Dame.
Je vous prie d'excusez ma hardiesse...
S'il-vous plait douce amie où Jean a-t'il été emmené ?>>



Le comportement d'Armille n'était pas normal. Il se contrefichait totalement qu'elle l'ait éconduit.
Mais il l'avait connue autrement plus avide...

Son obsession à satisfaire Jacques surtout l'inquiétait, et dans le même temps l'obsession de Jacques pour Coraline lui semblait étrange.

Son intuition lui disait que Jean était peut-être en danger ou en tout cas en facheuse posture. Il ne voulait pas qu'elle ait raison.

<<Je peux et veux bien vous ramener Coraline.
Mais dites moi où est Jean, sinon Jacques...>>

Tout en se demandant pourquoi elle avait accepté d'aller chez Jean, Coraline observa d'un oeuil las la jeune femme brune qui venait de s'installer au centre de la grande pièce. Celle qui était aussi dans le salon ottoman...

Alors que Philip s'apprétait à la conduire chez Jean, Coraline lui demanda à l'oreille :

- Connaissez-vous cette jeune femme ?

Philip regarda la brune et féline jeune femme qui posait sur ce qui l'entourait un regard curieux.

- Non. J'aimerai bien mais Jean...

Coraline lui serra très fortement le bras :

- Et si cette femme servait les intérêts de Jacques ?

- Je ne crois pas... Elle n'était pas avec lui quand nous sommes arrivés, répondit Philipe.

Coraline hésitait et, se faisant, elle regarda la jeune femme brune avec insistance. Si elle ne réagissait pas, tant pis, elle suivrait Philipe...

Lorsque Madame d'Armille vit la jeune femme rentrer de nouveau dans la pièce, une coupe de Champagne à la main, elle l'interpella aussitôt..
Anne Sophie d'Armille était ce genre de femme qui adorait faire de nouvelles connaissances et s'entourer de nouveax visages, qu'elle oubliait parfois, au gré des situations....

- Mademoiselle, c'est la première fois que je vous vois ici...Vous venez d'arriver à Paris ? Venz vous joindre à nous, j'adore voir de nouvelles têtes...

- Suivez moi ajouta Philippe qui sortit du café...
Il appella un fiacre et commanda "Rue des Martyrs, vite"


Le coche fit claquer son fouet et partit dans la direction demandée...

Coraline regarda la jeune femme brune revenir dans le salon ottoman et haussa les épaules. Philipe avait raison et elle tort : elle le suivit donc dans le fiacre qu'il avait arrêté.

Une fois assise dans la pénombre, sa maussaderie la reprit. Mais pourquoi donc avait-elle accepté de le suivre ? Tout cela n'avait aucun sens. Elle avait bien vu Jean consentant. Et pourtant...

Pourtant, l'inquiétude de Philipe pour son ami faisait écho à sa propre inquiétude. Elle n'avait vu qu'un court moment... Et puis, ces femmes étaient celles de Jacques. Enfin, peut-être qu'il était plus facile de se bercer d'illusions que d'admettre la réalité, et que tous les moyens de fuir l'ingratitude des hommes la satisfaisaient...

Elle regarda Philipe plongé dans de sombres pensées. Certes, elle n'avait guère apprécié ses manières cavalières mais sa fidélité en amitié la touchait. Il aurait pu si facilement choisir de passer un bon moment... Mais au fait, pourquoi s'inquiétait-il autant ? Sa propre crainte n'était fondé que sur la reconnaissance de Jacques... Mais lui, quelles étaient ses raisons ? Pourquoi ne pensait-il pas que Jean passait juste un bon moment avec deux magnifiques femmes ?

Elle toucha son bras délicatement pour attirer son attention, puis demanda d'une voix douce :

- Puis-je savoir exactement pourquoi vous vous inquiétez pour lui ? Après tout, qu'est-ce qui ne vous dit pas qu'il est juste en train de prendre du bon temps ? Même si cela me peine, il en a le droit...

Lucien se fit plus insistant, presque implorant :

<<Madame d'Armille, répondez moi... Où est parti Jean ?>>

Luna s'avança avec assurance vers Madame d'Armille dont elle avait entendu maintes fois parler... en raison des soirées privées qu'elle donnait dans sa gentilhommière... L'objectif de Luna ce soir là était bien de faire sa connaissance.

Elle sourit, fit une courte révérence et tout en répondant à Madame d'Armille, pointa son regard insolent sur le jeune homme qui l'accompagnait.

<< c'est avec grand plaisir que je me joins à vous ... Un peu de compagnie sera la bienvenue ... Je me nomme Luna, pour vous servir.
A qui ais-je l'honneur ?>>

Pour Luna et Lucien

Madame d'Armilla toucha le bras de Lucien avec un air moqueur...


" Comment diable voulez vous que je le sache Lucien ? Votre ami est assez grand n'est ce pas...Et peut être moins innocent que vous le croyez...N'allez pas me dire que vous le jalousez...
Elle partit d'un grand éclat de rire, qui ne s'arreta qu'à l'intervention de Luna.

Devant la jeune demoiselle , elle offrit le plus enjoleur des sourires

- Quelle nom merveilleux ! Ce n'est pas banal...Je suis la Comtesse d'Armille, femme seule et discourtoise, qui cherche le réconfort dans la présence de beau poètes ténébreux, comme vous pouvez le voir...
Voici Lucien Bonmel, artiste et homme de goût...
Vous même d'où venez vous ?


Dans le coche, avec Coraline

- Vous ne connaissez pas les milieux libertins, mademoiselle COraline...On y sombre très vite si on n'a pas la volonté necessaire...
Jean est faible et je ne tiens pas ce Volpino en haute estime...Sa réputation est...trouble...

Les yeux de Coraline s'allumèrent. Peut-être allait-elle avoir des renseignements sur Volpino et reconstituer sa véritable identité - ce serait un point d'avance qui ne serait pas des moindres...

Elle prit un air inquiet alors même que c'était la curiosité qui l'invita à se pencher un peu plus près de Philipe - si proches qu'ils se touchaient presque.

- Vraiment ? C'est vrai que cela ne fait guère longtemps que je suis à Paris. Quelle genre de réputation ?

Dans le coche

- Volpino est un homme étrange...On dit même qu'il est influent sur de nombreux domaines, y compris politique...
Certaines personnes l'accusent de pratiquer d'étranges orgies chez lui, mais vous savez ce que sont les réputations...
Tout ce que je sais et qui m'inquiète, c'est qu'il a une sorte de cour autours de lui, de gens peu fréquentables et que je n'ai encore envie de voir Jean frayer avec ces déchets opiumanes....

Tenez, une histoire me revient à propos de ces vignes...On dit que qu'il a racheté quinze parcelles d'un coup, et que les seuls qui ont refusé de les lui vendre ont connu un triste sort, peu de temps après...Certains disent qu'ils ont été empoisonné...Ce type me fait froid dans le dos...

- Oui, à moi aussi, avoua-t-elle dans un souffle.

Puis elle s'écarta et se remit à regarder à l'extérieur. Non, décidemment, tout cela était trop vague pour se faire une idée précise du personnage. Les humains faisaient parfois de drôles de rêves...

Dans son esprit, elle essayait de lister tous les détails qui pourraient lui faire reconstituer le puzzle de son identité mais, inlassablement, l'image de Jean aux mains de ces horribles femmes revenait hanter son esprit. Elle frissona de froid - Philipe avait insinué que tout cela était, plus ou moins indirectement, de sa faute. Il lui arrivait parfois de haïr se beauté, de haïr l'amour qu'elle suscitait. Il lui prenait des envies de mutilation, des envies de disparition... Mais l'instinct et le goût de la vie revenaient toujours la maintenir, belle et forte devant les hommes.

Maintenant, il ne lui tardait plus qu'une chose : arriver à destination et voir ce qu'il en était.

Lucien prit une grande inspiration...

<<Je vais devoir vous quitter mesdames, je dois retrouver Coraline et Phillipe. Je ne voudrais qu'ils croient que je les aies abandonnés. Ce n'est pas bon de laisser ainsi ses amis.
Je ne désespère en effet pas de les avoir à mes côtés la prochaine fois que nous nous verrons ma très chère Anne-Sophie et peut-être au vôtre.>>

Il salua les deux femmes, lança un clin d'oeil complice à d'Armille, puis sortit.

Sauf s'il est interrompu par d'Armille ou Luna, Lucien s'en va interroger le personnel et les clients pour savoir où Jean et ses accompagnatrices sont allés. Il n'abandonnera les recherches qu'au bout d'une demi-heure et prendra place dans un fiacre à direction de l'appartement de Jean. S'il croise Volpinno, il va l'interroger.

Luna regarda Lucien partir en direction de la porte...

Dommage, pensa t'elle...

Mue par un soudain désir de provoquer cet homme froid et distant, elle ne put s'empêcher de remarquer haut et fort, une petite pointe de mépris dans la voix :


-" Beau et ténébreux, certes, quant à poète je ne puis hélas vous donner mon opinion, n'ayant pas eu l'heur d'entendre ou de lire les oeuvres de Monsieur..."


Elle ponctua la remarque assassine d'un "santé" en levant son verre en direction de la comtesse...


Puis d'un air anodin, elle ajouta

"Dîtes moi comtesse.. Comment s'appelle la jeune dame qui était en votre compagnie tantôt ? "

Elle porta le verre à ses lèvres et le but d'une traite.

- Et bien Lucien , voilà bien des manières de se dérober ainsi...
Je n'aurais pas l'audace de croire que vous fuyez de dépit de n'avoir pu obtenir ce que vous vouliez...

Armille eu un petit rire taquin puis se tourna vers Luna avec toute la bonne volonté du monde

- Une certaine Coraline...Personne assez froide en vérité, mais qui tire à elle tous les hommes semble t'il ...